Diaspora : les arabisés et l’appropriation de l’identité berbère

tazerzit

Depuis un moment une vague réactionnaire s’empare des milieux intellectuels. Dans le monde anglo-saxon, ces adeptes des luttes sociales et de la victimisation se font appeler « woke », littéralement « conscients ». Cherchant absolument une cause à défendre, beaucoup abordent des sujets poignants, très superficiellement. Les luttes s’entremêlent et l’apparition d’une novlangue complique la compréhension de celles-ci. Sur les réseaux-sociaux, les afro-américains se font entendre et leurs causes deviennent les préoccupations principales de ces gens « conscients ». La discrimination et plus particulièrement la négrophobie, y est dénoncée. De ce vocabulaire décrit plus tôt, beaucoup de termes sont traduits en français : « People Of Color » par exemple devient « racisé ».

Les partisans sont en majorité issus de diasporas. Suivant un schéma victimaire assez précis, une vulgarisation de l’Histoire s’opère. Le but est clair, rendre l’Histoire binaire où l’Occident est oppresseur, et le reste appréciable qu’à travers le rôle d’oppressé.

Aujourd’hui un phénomène issu de ce mouvement apparait dans la diaspora maghrébine : l’appropriation de l’identité berbère par les arabisés. De l’identité berbère, la revendication amazigh va de pair et ces personnes n’hésitent pas à l’ajouter aux nombreuses luttes à leur arc.

La revendication amazigh a toujours fait partie du Maghreb. Suivant le contexte politique, elle prend différentes formes et se stabilise durant les années coloniales. Lors des décolonisations, les leaders maghrébins adeptes du panarabisme, imposent une identité arabe unique, divisant plus que ne réunissant un peuple autour d’une langue et d’une religion. Officiellement deux principaux groupes ethniques se distinguent au Maghreb : les « Arabes » (incluant les berbères arabisés et les descendants d’Arabes), et les Berbères.

En bref, depuis ce mouvement « woke » un certain nombre de ces Arabes maghrébins s’approprie l’identité berbère, avec laquelle ils n’ont pourtant jamais grandi. Être Berbère ce n’est pas dire « je suis Berbère à partir d’aujourd’hui, je peux donc parler en tant que tel ». Être Amazigh nous est cher, nous avons hérité de cette identité et sommes attachés à la langue et culture qui en découle. L’identité berbère n’est pas un moyen d’arriver à ses fins dans le but d’être victime dans un schéma pyramidal où les plus souffrants seraient les « Black People ».

Ce renouveau identitaire a plusieurs raisons, d’abord l’envie d’être politisé. Également une autre raison fait surface : l’obsession de l’identité et le fait d’être autochtone. Cette dynamique identitaire en vogue n’hésite pas à s’approprier des pratiques hitleriennes à travers le « one-drop rule » par exemple, où la race est au centre de la société. La définition d’afro-descendant, tirée d’un site français est assez choquante et fait écho à cette influence fasciste et racialiste dans ce milieu :

« Qu’est-ce qu’un Afro-descendant ? Une personne née hors d’Afrique, mais ayant des ancêtres nés en Afrique subsaharienne en nombre suffisamment important pour que cela ait une incidence sur l’apparence ou la culture de cette personne. Pour que les ancêtres nés en Afrique subsaharienne aient une incidence sur l’apparence, (le phénotype) d’une personne, il faut qu’ils représentent plus de 6,25 % du total des  ancêtres (1/16e ou 4 générations). » (*)

L’identité reste néanmoins personnelle et, comme nous l’avons dit ailleurs, flexible. Mais le fait pour un Arabe maghrébin de s’identifier Amazigh est aussi invraisemblable qu’affirmer qu’il est ayant amazigh qu’un berbérophone.

Un phénomène internet

La première remarque que l’on peut faire, c’est qu’il n’y a que sur internet que l’on peut rencontrer des personnes ayant grandi en tant qu’Arabes, dont la famille se revendique Arabe, n’ayant aucun lien avec les Berbères, se revendiquer berbère. Au Maghreb dans la vie réelle, jamais vous ne croiserez, par exemple, un fassi se dire berbère car cela reviendrait à un « downgrade » social. Même un Jabli (= nord-ouest du Maroc), bien qu’il soit situé dans le Rif occidental, ne se dira pas rifain et tracera clairement la distinction entre les Rifains et lui. Les Jbala (pluriel de Jabli) préféreront même revendiquer des origines andalouses plutôt que berbères. Mais certains Jbala de la diaspora arriveront pourtant à dire qu’ils sont bel et bien Rifains…

De plus, pour les personnes ne connaissant que la dichotomie Arabe/Berbère (donc la plupart des gens au Maghreb), entendre un Arabe se dire Amazigh intriguerait. Il faut savoir que la diaspora berbère, consciente du problème identitaire des arabes au Maghreb, est assez ouverte d’esprit pour appeler ces personnes « Berbères arabisés » lorsque en réalité les berbères à tamazirt les nomment assez péjorativement i3raben (= arabes).

Le nombrilisme de ces néo-berbères

On peut constater chez ces néo-berbères une fâcheuse manie de parler au nom des Imazighen. Que ces « Arabisés » veuillent reconnaitre l’importance de la berberité au Maghreb et dénoncer l’imposture du nationalisme arabe est une chose, qu’ils parlent pour les berbères comme s’ils étaient à leur place en leur usurpant la parole en est une autre.

Autre remarque, ces Arabes renversent la cause berbère à leur profit, preuve de leur égocentrisme. Ils en viennent même à se considérer comme les « réelles victimes de l’arabisation » :  l’indécence à l’état pur… Oui car selon eux, la cause berbère se résume à rejeter l’arabisation que leurs aïeuls ont accepté, ou non. Ils inversent complètement l’oppression : les arabisés deviennent les seules victimes de l’arabisation, et les berbères qui oseraient leur faire remarquer qu’ils ne sont pas « totalement berbères » sont les oppresseurs. Le schéma binaire ressort encore une fois, la course à la victimisation est de mise.

La vulgarisation des berbères

Dans ces néo-berbères on retrouve un bon nombre d’apostats haïssant l’islam. Ainsi, ces « anciens Arabes » se sont approprier l’identité berbère pour justifier leur apostasie et exercer une distance avec leur arabité qu’ils voient trop proche de l’islam. En agissant ainsi, ces personnes renforcent les idées et arguments des identitaires arabes, opposant les berbères à la religion, quand bien même les régions berbérophones sont connues comme étant les plus conservatrices. Si ces personnes sont si attachées aux berbères, pourquoi ne respectent-ils pas la religion de 98% de ces-derniers?

De plus, souvent ces personnes –volontairement ou non– réitèrent des discours et des stéréotypes sur les berbères qui ont été tenu pour les humilier. L’arabe, même s’il cherche à se revendiquer berbère, revient toujours à ses tendances premières.

Des connaissances superficielles voire inexistantes sur l’Histoire du Maghreb

Comme les berbères complexés, ces individus ont des connaissances superficielles voire inexistantes de l’Histoire du Maghreb et des Berbères. Selon eux, l’arabisation a débuté aux conquêtes arabes, pendant lesquelles les arabes auraient massacrés les berbères pour les forcer à se dire arabe et abandonner leur culture, nient complètement l’apport démographique arabe au Maghreb (bien qu’il soit minime son impact n’est pas négligeable), etc. Ils qualifient même les conquêtes arabes de colonisation et ne font aucune distinction entre l’armée de Uqba Ibn Nafi et les invasions (terme contestable) arabes. Ces personnes, qui estiment être berbères car historiquement ils ne sont qu’arabisés, n’ont aucune connaissance en la matière et ne font que diaboliser des individus par leur identité, ici arabe (nous renvoyant encore une fois aux influences fascistes du mouvement).

L’héritage de leur réflexion binaire les pousse également à émettre des hypothèses racialistes sur l’origine des berbères qui serait noire. Selon leur logique, plus une personne est foncée/typée, plus elle sera amazigh. C’est en suivant cette logique et pour se donner de la crédibilité que certains ont pu en déduire qu’en tant qu’arabisés typés ou arabisés noirs, ils étaient plus amazigh qu’un berbère très clair de peau. Par ailleurs, le fait de qualifier les berbères de noirs les positionnent dans la dynamique d’afro-descendants, chose sur laquelle beaucoup d’entre eux fantasment, du fait de la fétichisation qu’ils font des « Black people ».

Identité factice, berbère pour l’esthétique 

Ces arabisés se présentent comme amazigh, mais portent en pratique très peu d’intérêt à ce que les berbères vivent et subissent.

On s’aperçoit que même dans leur cause ils gardent un privilège malgré la volonté de se rendre victimes. Leur berberisme est limité à pouvoir se dire aussi amazigh que les Imazighen. Quant au fait que les Imazighen soient méprisés, qu’ils soient négligés par les gouvernements, ils n’en ont que très peu à faire. En réalité, ils ne se revendiquent amazigh que pour piocher dans les différentes cultures des sous-groupes berbères qu’ils fétichisent : porter des robes kabyles, des bijoux chleuhs, se dessiner des tatouages (ridicules d’ailleurs) au stylo sur le visage et avoir le plaisir de se dire autochtone et anti-colonialiste. La sexualisation de la culture berbère est également très flagrante, l’anecdote d’une illustratrice évoquant une pratique ancestrale berbère qui serait de se tatouer le pubis pour éloigner les maladies sexuellement transmissibles : un mensonge créé de toutes pièces, pour donner un caractère sexuel aux pratiques des femmes berbères. Ensuite, certains souhaitent, à travers la carte d’autochtone berbère, se rapprocher des Subsahariens afin d’atteindre du bout des doigts le sommet de la pyramide des victimes de l’humanité, mais aussi pour répondre à une fétichisation flagrante des « Black people ».

Ce que nous avons à dire à ces personnes est que vous ne rendez pas service aux berbères, au contraire. Vous fétichisez la culture berbère et n’êtes amazigh que pour des intérêts frivoles. Comme j’ai pu le lire dans un précédent article écrit par une Berbère : « Notre identité n’est pas là pour assouvir vos fantasmes identitaires, ni pour justifier votre pseudo-politisation ». Nous sommes un peuple réel, nous avons une Histoire, nous avons grandi avec cette identité, nos parents ont été méprisés pour celle-ci et se sont battus pour sa reconnaissance. Donc si vous aimez tant les Berbères que vous le prétendez, ayez du respect et ne parlez pas en notre nom pour soulager vos complexes. Nous ne sommes pas que des victimes. Nous n’avons pas attendu que les arabisés reconnaissent notre existence pour revendiquer notre identité. La lutte s’est toujours faite dans la préservation de la langue, des pratiques culturelles comme la poésie, la musique et les récits historiques. Vous ne pouvez comprendre ce qu’est la frustration du peuple amazigh car vous n’avez jamais été touchés par les réels problèmes de la communauté. Nous étouffer de novlangue féministe anti-raciste, calquer des théories anglo-saxonnes ne font que vous éloigner encore plus de ce que vous souhaitez à tout prix intégrer. Arrêtez d’utiliser nos revendications pour vos intérêts légers, et à mauvais escient, car cela se retourne contre nous, les vrais Berbères.

 

H.B

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6 réponses à “Diaspora : les arabisés et l’appropriation de l’identité berbère”

  1. Excellent article, j’espère que les principaux concernés se reconnaitront et arreteront de voler l’identité et le combat d’autrui pour se rendre cool sur les réseaux sociaux.
    De la part d’une berbère qui n’en peut plus que certains utilisent notre identité à des fins futiles, je vous remercie du fond du coeur.

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  2. L’identité berbère est multiple, chacun son identité, je trouve répugnant que certaines personnes s’octroient le monopole de la berbérité alors qu’elles n’en constituent qu’une fraction

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